HISTOIRE D’UNE PASSION, par Carole Milleliri |
Little Gay Boy
réalisé
par Antony
Hickling
Voici
un étrange long-métrage en trois chapitres. Il s’agit en fait de
trois courts pouvant être vus indépendamment tout autant que dans
la foulée, pour parcourir le chemin de croix de J.C., de sa
conception tumultueuse à l’accomplissement de son destin et à
l’affirmation de son identité. Antony Hickling livre une version
déjantée, mais néanmoins très pertinente, du mythe christique, à
travers un univers d’une grande richesse visuelle et sémantique.
Sacralité profane
Fruit
d’une immaculée conception revue et corrigée, J.C. se voit
destiné à un chemin de croix tout tracé par un ange Gabriel aux
traits féminins dans L’Annonciation (or the
conception of a little gay boy). Prompt à l’injure, cet
émissaire prédit avec autorité sa mission à une prostituée
stérile de 45 ans : « L’Esprit Saint viendra sur toi
et la puissance du Très Haut te prendra sous son ombre. (…)
L’Esprit Saint qui naîtra sera appelé QUEER et sera le Fils de
Dieu. » Après l’action sanglante d’un client anonyme,
la nouvelle mère voit la prophétie complétée alors qu’elle pose
en Sainte Vierge : « L’enfant que tu enfanteras sera
aux mains des pêcheurs. Ils l’humilieront, lui cracheront dessus
et le haïront. Il mourra du sida. Mais le troisième jour, il
ressuscitera des morts. » Le premier segment du triptyque
impose donc un ton décalé dans un style fellinien affirmé. Les
rapports humains sont placés sous le signe de la domination et la
représentation oscille entre moments naturalistes et délires
picturaux, nourris d’une iconographie religieuse détournée avec
fantaisie. Le chapitre central Little Gay Boy Christ Is
Dead constitue le cœur de cette tragédie aux accents
surréalistes et s’avère aussi être le segment le plus fort de
l’ensemble. Jeune adulte timide, J.C. y explore sa sexualité,
découvre ses pulsions masochistes et expérimente des jeux de
domination violents. Ce Christ frêle au visage doux, incarné avec
délicatesse par Gaëtan Vettier, éprouve le désir des hommes comme
il supporte le penchant incestueux d’une mère affreuse, sale et
méchante. Son parcours initiatique s’achève par la rencontre avec
Dieu le Père (son père), jusqu’à un mariage œdipien et
dionysiaque aux accents mortifères, dans une nouvelle version de la
cène (Holy Thursday – The Last Supper).
Vision baroque
Little Gay Boy,
sous-titré A Triptych (LGBT…)
est un objet foncièrement hétéroclite. Les stigmates du film
autoproduit, avec ses accidents et ses imperfections, participe au
caractère unique de ce film manifeste. Burlesque et onirique,
charnel et sensuel, Little
Gay Boy ose
toutes les folies avec une élégance bâtarde assumée. Antony
Hickling aime la peinture de la Renaissance, Pasolini, Jarmann, et ça
se voit ! Ses moyens réduits ne l’empêchent pas de faire
preuve d’une belle ambition visuelle pour servir un propos dense.
Afin de défricher la polymorphie de l’identité queer,
Hickling interroge le poids de la religion dans la construction de
tout être, quel que soit son degré de croyance et son parcours
personnel, et explore sans tabou le rapport contrarié de l’individu
à ses géniteurs. Il dénonce aussi les travers intégristes, comme
avec cette manifestation, dans le troisième volet, où des religieux
agitent des pancartes homophobes dans un sous-bois propice aux
rencontres sexuelles, jusqu’au moment où ils trébuchent et
révèlent des sexes cadenassés.
Porté
par un texte d’une grande poésie, le parcours de J.C. est ponctué
de tableaux abstraits pour structurer un récit halluciné, où
l’urgence de vie se mêle à une pulsion de mort de plus en plus
pressante. Les performances du danseur Bino Sauitzvy, couvert d’une
peinture blanche et rouge, donnent une corporalité convulsive à ces
enjeux. Il en va de même des plans picturaux qui concluent chaque
partie, comme la Pietà déchirante en fin de deuxième segment, ou
des représentations presque abstraites des expériences S.M. On
retrouve ici la plasticité envoûtante du travail d’Antony
Hickling, visible dans ses précédents courts-métrages, proposés
en bonus de ce DVD. Avec lui, le cinéma se mêle à l’installation
performative dans une exploration des formes foutraque et
intelligente.
- France - 2013
- Réalisation: Antony Hickling
- Bonus:
-
Birth 1, Birth 3, Q.J, trois courts-métrages de Antony Hickling
- Editeur:
- Distributeur:L’Harmattan Vidéo
- Date de sortie: 2 avril 2014
- Durée: 1h12
http://critikat.com/dvd-livres/dvd/little-gay-boy.html
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